La Baronnie de Courmayeur
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La Baronnie et ses petites histoires
 
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 Les larmes de la Régente

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Rollin

Rollin


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Date d'inscription : 17/09/2009
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Localisation : Chambéry, Courmayeur ou Saint-Jeoire

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MessageSujet: Les larmes de la Régente   Les larmes de la Régente Icon_minitimeLun 8 Mar - 16:35


*À brides abattues, les deux cavaliers avaient galopé sur les sentes ondulantes et poudreuses, dévalant des hauts de La Palud pour rejoindre la maison de la Régente dans les délais les plus brefs. Au grand soulagement des deux hommes la pénombre déjà bien installée, et qui ne tarderait pas à céder la place au crépuscule profond et pur, diluait les formes et les détails dans une sorte de grande mer aux eaux bleutées et noires couronnées de crêtes d'argent scintillant. Les flancs abruptes des massifs, les zones hérissées des sapinières, les courbes dévastées des parcelles jadis cultivées, les agrégats caillouteux des hameaux à demi-désertés, oui, tout cela sans exception disparaissait et se fondait sous le voile rassurant de la nuit naissante.*

*Le silence irréel où la vallée se trouvait plongée mourut au son du délicat tintement de Saint-Pantaléon qui annonçait Vêpres... pour renaître l'instant d'après, gagnant en puissance et en profondeur. Rollin n'y voyait foutre plus grand-chose, mais il faisait confiance à son palefroi au pied agile et à l'échine solide pour les mener plus sûrement et directement à la maison de la Régente. Sans doute le noir-rouanné aspirait-il aussi à un repos amplement mérité dans une écurie confortable et à la promesse d'une litière de paille fraiche et odorante.*

*Le pied à peine posé au sol, Hadwin et Rollin ne s'attardèrent pas bien longtemps, bouchonnant le brave coursier et lui donnant avoine et eau fraiche au mieux de ce que leurs pauvres yeux, rendus presque aveugles dans l'obscurité de la stalle, pouvaient leur permettre.*

*La lumière qui filtrait par les interstices entre les volets clos et le délicat fumet d'un brouet au lard eurent raison des deux cavaliers fourbus qui titubaient sur le chemin défoncé séparant l'écurie de la maison. Les membres courbaturés, la nuque et l'arrière-train douloureux, Rollin et Hadwin entrèrent sans bruit dans la demeure, dirigeant leurs pas vers la pièce principale où devait se trouver la maîtresse de maison.*

*Mais dans la pièce, seule Marinette s'activait au coin du feu, reprisant quelque menu linge de la maison. La jeune femme avait sursauté et, très empressée et le regard timide, elle s'était dépêchée de servir de quoi nourrir et réconforter les deux hommes. En silence, la chambrière de la Régente avait quitté la pièce pour aller prévenir sa nouvelle maîtresse du retour des cavaliers.*




*Le repas vite englouti, Yzalba, Hadwin et Rollin se retrouvèrent attablés près du feu, entourés de rôles de parchemin, d'épais volumes de comptes et d'une pile bancale de papiers en tous genres sur lesquels des centaines de notes avaient été inscrites à la hâte. La Régente avait commenté les évènements de la journée, mais son compagnon et le Mestre de la plume ne purent - et ne voulurent - décrire toute l'horreur de ce que, eux, avaient vus de leurs yeux. Puis la jeune femme avait empoigné un rôle de recensement, et Hadwin de suivre sur ses notes et de dresser un premier état des pertes.*

Citation :
Coumayeur, a.d. MCDLVI, le XXVIIe de juillet, jour Saint Pantaléon,

Nous, ci-devant Questeur au nom de...

blablabla… Ah! Nous y voici!

Citation :
- Bourg de Courmayeur:

Item – Avons relevé 15 feux fiscaux
Item – Cy comprennent, tenus par mesnie, le nombre de cent et octante âmes, c'est assavoir 24 vieillards, 96 gens ayant atteint l'âge de raison et au surplus une soixantaine d'enfançons.
Item – Les ci-devant dits se partageant propriété, usufruit & jouissance de 113 têtes de bonnes tarines dites brunes d'abondance ou savoiardas, 51 chèvres d'alpage, 90 porcs et 135 moutons pour toison & viande.




*Hadwin, les yeux écarquillés, devenait livide à mesure que la Régente faisait lecture... Jamais il n'aurait imaginé que... Le Franc-Comtois prit la parole d'une voix blanche et presque éteinte:*


Mitan d'octobre MCDLVII,

pour Courmayeur,

Je compte… euh… 12 chefs de feux, pour un total de 121 âmes, 79 en âge de travailler, 7 vieux et… 35 enfants.

Pour le bétail, voyons: 5 vaches, 2 chèvres, 4 porcs et... 3, 4, non, 5 moutons... Dieu tout Puissant... mais c'est une hécatombe!

*Las, le sieur Hadwin n'était pas au bout de ses surprises car le Bourg de Courmayeur était la zone la moins touchée par les ravages de la disette! Ainsi, les trois tristes comptables dénombrèrent en ce jour l'effroyable somme de 288 morts sur une population totale de 601 personnes. Plus de la moitié des enfants de Courmayeur avaient été fauchés, un peu plus d'un vieillard sur trois et le hameau de La Palud était désormais vide d'habitants… mais le bilan humain, déjà écœurant, ne laissait pas présager des pertes occasionnées au cheptel… car sur les quelques 2200 têtes de bétail, toutes espèces confondues, seules 82 malheureuses bêtes avaient survécu.*

*Effondrée, Yzalba, Régente un peu malgré elle, laissa éclater sa douleur... et les larmes égrenèrent sur ses joues plus blanches que mort de minces filandres argentées, comme la rosée de juillet qui scintille sur la corolle diaphane d'un lys à peine éclos.*

*Le silence lourd de leur macabre constat s'insinua partout, qui sous la peau et les muscles, se logeant au plus profond de leurs os et jusque dans leur cœur… Un long moment, Yzalba, son compagnon et le sieur Hadwin ne purent faire autre chose que regarder, les yeux remplis de dégoût et d'horreur, le monceau de parchemins porteurs d'aussi funestes nouvelles…*




*Ce fut Rollin, en cœur fidèle et éternel amoureux de la vie, qui brisa de ses mots vibrants et profonds la chape de plomb qui pesait lourdement sur leurs épaules… des mots justes et pleins d'espoir... lui à qui toute espérance avait été retirée jadis, lui dont la vie avait été brisée...*

Allons, ne laissons pas la douleur et le deuil appesantir nos cœurs! Tout ceci me dit une chose: la moitié de la population a rejoint le Très-Haut, mais cela ne doit pas nous faire oublier qu'il reste l'autre moitié, ici, avec nous sur cette terre où les hommes marchent, vivent et aiment. Faisons en sorte que le massacre s'arrête maintenant.

*Prenant une profonde inspiration, le jeune homme continua sur sa lancée:*

Pour ce faire, il nous faut procéder par ordre. Nous devons sauver les habitants, soit! Mais les vivres des convois ne seront pas éternelles. Yzalba, dès demain il te faudra donner tes ordres, sans sourciller ni faillir. Tu me dis que la nourriture est en bonne place, et j'en suis heureux, mais il nous faut penser à l'avenir. Les dernières récoltes encore exploitables devront être ramassées et engrangées; de même, il nous faudra faucher la paille et le foin qui restent; les champs doivent être labourés et ensemencés. Je crains qu'il ne nous faille mander des gens dans les vallées pour acheter ce qu'il nous manquera de fourrage d'ici au printemps...

*Marquant une brève pause, Rollin plongea la main dans la besace de toile bise qui pendait à tout instant à son côté et en extirpa une pleine poignée de grains de blés noircis. La paume tendue, pour que Hadwin et Yzalba puissent bien les voir, il reprit:*

Je sais ce qui, en dehors de la sécheresse, a ravagé les cultures: une partie des grains de blé que j'ai vus ce matin était comme ceux-ci, brûlés de rouille brune. Il nous faudra donc assainir et amender la terre. Je préconise de faire des brûlis sur tous les champs de blé. Nous devrons ensuite y épandre du salpêtre. Ma Mie, je crains que cela aussi il nous faille le quérir en dehors de la Baronnie. Mais ce traitement de choc devrait s'avérer salutaire et détruire les miasmes qui sont dans le sol et menacent les récoltes futures.

*Rollin se racla la gorge et lança la poignée de blé dans les flammes de l'âtre qui s'y consumèrent dans un crépitement vorace. L'homme semblait à son aise avec les choses de la terre, c'était certain!*

Je n'vous le cache pas, nous avons énormément de travail... La tâche prioritaire est l'ensevelissement des dépouilles, hommes et bêtes. Il faudra lever des équipes de fossoyeurs parmi les gens des convois et ceux d'ici qui voudront bien le faire... Il faut leur laisser le choix, je pense, parce qu'exiger d'un homme qu'il enterre ses parents ou ses voisins risque de faire plus de mal que de bien à ceux qui ont déjà enduré les affres de l'enfer. Le reste s'est apparemment mis en place aujourd'hui et c'est une bonne chose.

*Une nouvelle fois, le Liégeois s'interrompit. Il en profita pour leur verser une rasade de vin corsé d'Aoste, puis ayant vidé son gobelet d'un trait – tant pour étancher sa soif que se remettre les sangs –, il enchaina sur un ton moins grave mais néanmoins sérieux:*

D'autres problèmes réclament solution pour que Lisyane retrouve une Baronnie en meilleure santé. J'ai vu sur les hauts d'Entrèves une maison forte. Elle sert de logement pour une famille de paysans et d'abri pour les quelques bêtes qui leur restent. Il faudra les reloger! Cette place est idéalement située pour défendre la route des cols, celle qui monte vers le Saint-Bernard, et y loger une forte garnison et une résidence seigneuriale. Sans doute aussi serait-il de bon ton d'y installer un péage pour les denrées qui transitent par la vallée en provenance de Savoie, d'Helvétie ou celles qui remontent d'Aoste… Si tant est que la Baronne prévienne les marchands et leur offre en contrepartie une route mieux entretenue, une sécurité accrue sur ses terres et des hostelleries en suffisance avec des écuries et des zones de stockage, la mesure sera bien accueillie. Il y a aussi la grande tour près de Saint-Pantaléon. On m'a dit qu'elle se nommait Malluquin. C'est un véritable donjon et on y entrepose du matériel et du bétail! C'est vraiment un comble! Je propose de la faire vider et réaménager à des fins militaires. Ca donnera l'occasion aux gens d'ici de trouver quelque opportunité de louer leurs bras. Que ce soit pour les travaux ou pour le service armé, d'ailleurs! Les quelques gardes aux grilles font pâle figure… c'est plus que certain! Maintenant, Lisyane a laissé sous-entendre que la Baronnie n'avait pas vraiment de ressources donc, évidement, augmenter le nombre des gardes ou instaurer un système de levée ou de corvée militaire ne pourra être envisagé que si l'on...

*Cette fois, ce ne fut pas Rollin qui s'interrompit, mais Yzalba qui, feuilletant distraitement un rôle très ancien tout en écoutant attentivement les recommandations de son compagnon, lui coupa la parole par un cri:*

Ah, ben ça!


Excuse-moi, mon amour, mais juste au moment où tu en parles, regarde ce que je lis dans le relevé de... de ... voyons, juillet 1418:


Citation :
Item – Cy-devant les comptes & états de la ferrière du Val Sapin…

C'est ici ça, non? *La jeune femme continua:*

Citation :
Sorti des sapes la quantité de 240 quintaux de terre de fer & acheminé à Aoste.

*La jeune femme compulsa frénétiquement les pages suivantes.*


Citation :
Août de la même année: 195 quintaux; septembre suivant: 211 quintaux…

*Yzalba, le visage rayonnant, leva des yeux brillants vers les deux hommes.*


La voilà la richesse de Courmayeur! Et...


*Le sourire d'Yzalba s'effaça comme il était venu.*


Oh, non, voici que tout s'interrompt en avril 1419 avec la mention:


Citation :
Ce jour effondrement de la mine mestresse par infiltration du torrent de Sapin à crue moult grande & marvilieuse. X & IX mineurs au nombre des pertes, r.i.p., aucun espoir de rouvrir la sape sans danger. Messire le Baron, en son asme & conscience, s'en remet à la providence divine & fait abandonner ladite ferrière du Val.

… Dommage, alors que les ennuis de Lisyane allaient peut-être enfin trouver un terme heureux.


*Rollin, affichant un air réjouit, répondit d'une voix joyeuse:*

Ne t'inquiète pas, ma Mie, je sais exactement ce qu'il faut faire. Je peux te dicter une missive?




*Concentrée sur son travail, Yzalba nota consciencieusement les mots de son bien-aimé, quelque peu intriguée par le contenu de ses paroles.*

Citation :
De Rollin, par la main de Dame Yzalba Anouchavam, Régente de la Baronnie et des terres de Courmayeur, par la volonté de la Baronne des Sainctes-Eaux;
À Odon du Rèwe, Mestre du Bon Métier des Houilleurs en la Cité de Liège, Engigneur, Mestre de sape et de fosse, Capitaine près Monseigneur Le Prince-Évêque;

Courmayeur, a.d. MCDLVII, le XVe d'octobre, jour Saint Léonard.

Salutations

Très Cher et Estimé Ami, sans doute dois-tu croire, en parcourant ces lignes, à quelque farce de goliard en mal de lettres, mais il n'en est rien. Ce jour d'hui se présente bien humblement en quête et demande, Rollin, l'infortuné d'Agimont.

Le Très-Haut, loué soit son nom, a voulu me donner la chance de trouver terre d'asile aux confins de l'Empire, au cœur du Duché de Savoie, où désormais je m'atèle à vivre simplement.

Je viens en cette heure angoisseuse requérir aide et assistance auprès de toi car une Dame qui m'est chère a besoin de tes conseils avisés concernant la possibilité de réouverture d'une ferrière désœuvrée depuis bientôt quarante années.

En souvenir de notre amitié passée et de ce qui nous lia jadis, je te prie bien dévotement de me dire si telle entreprise vaudrait que tu mandes ici à Courmayeur, où je me trouve pour l'instant, quelques-uns de tes meilleurs compagnons Houilleurs.

La distance et grande et sans doute la tâche ardue, mais tu sais la valeur de ma parole comme je sais les œuvres de tes compagnons. Aussi je te promets défraiement à suffisance et comme tu le jugeras bon sur mes fonds propres et mes biens pour ton service.

Je t'adresse cy-bas mes plus amicales pensées et enclos cette apostille du sceau de mes prières.

Pour Nostre-Dame et Saint-Lambert,

Adieu.


Ton Très Dévoué et Toujours Fidèle Rollin,

+R+
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