Au long du chemin de Rome...

Courbé sur un bâton de marche aussi noueux que son corps était contrefait, le vieux clerc traînait sa bosse en boitant au long du chemin poudreux qui l’avait mené d’une face à l’autre du Mont-Blanc … Sa bure crasseuse et défraîchie était couverte de la poussière et de la boue du sentier qui descendait vers la vallée, et la cape mitée qu’il avait jetée sur ses épaules tordues n’était guère plus présentable.

Faisant une brève halte, le vieil homme leva le nez et, posant ses lorgnons sur son nez biscornu, observa le lointain. Sa peau blafarde et cireuse luisait dans la lumière crue de cette fin d’après-midi et les mèches grasses de la couronne des cheveux qui lui restaient dégoulinaient de transpiration. Il frotta ses mains sales l’une contre l’autre pour réchauffer ses doigts déformés par l’âge, des doigts aux ongles trop longs, endeuillés par la crasse, et qui lui faisaient comme des serres de vautour sortant de ses manches. Un sourire étriqué dévoila quelques chicots jaunis… geste sympathique qui arrachait pourtant toujours des grimaces de dégoût à ses interlocuteurs. Sa voix sifflante jaillit comme un serpent avide qui tenterait d’échapper au gouffre immonde de sa bouche :

Je vous ai fait venir dans un pays semblable à un verger,
Pour que vous en mangiez les fruits et les meilleures productions ;
Mais vous êtes venus, et vous avez souillé mon pays,
Et vous avez fait de mon héritage une abomination.

Le vieux clerc continua de sourire… après tout, il était déjà laid à faire peur, alors un peu plus ou un peu moins, cela ne changeait absolument rien... Il affectionnait particulièrement ce passage du Livre de Jérémie et, en cette heure, les yeux remplis du spectacle merveilleux de la vallée de Courmayeur, il trouvait qu’une touche de lyrisme n’était pas déplacée…

…

Le vieillard avait continué son chemin, non sans s’être d’abord épanché au goulot de son outre à vin. Il avait cheminé au long de la pente qui perdait en raideur à mesure qu’il approchait du lit de la Baltée. Blasé par une vie de pauvreté, le clerc ne manifestait aucun étonnement à ce qu’il voyait sur sa route… des cultures à moitié abandonnées, des charognes de bestiaux aux pattes raides comme une saillie de pendu et à la panse gonflée comme les tripes du Pape lui-même… Et partout une odeur de mort et de pourriture flottait…

Il n’avait rencontré que quelques paysans, errant comme des âmes en peine, traînant leur silhouette squelettique, flottant dans des vêtements devenus trop amples. Le vieux clerc ne s’attarda pas… il voulait impérativement arriver à Courmayeur au plus tôt…

…

Enfin, les grilles dérisoires du bourg se dressèrent devant lui. Le vieil homme s’arrêta et sa voix grêle déchira le silence pesant :

Hohé ?! Il y a quelqu’un ? Je suis un pèlerin qui chemine vers Rome… Je demande hospitalité au Maître de céans.