La traversée des Alpes était, en ce début d'automne, rude et périlleuse. Mais Fernal n'y trouva rien de dur, motivé qu'il était par ce que lui avait rapporté une semaine plus tôt un colporteur piémontais: au pied du Mont Maudit on trouvait les plus belles améthystes de toutes les Alpes. Il se figurait, parmi la neige et malgré la froidure, qu'un tiède printemps régnait; les âpres roches lui semblaient prairies, et les bruyantes eaux des torrents avaient, à ses yeux, le charme de fontaines. Se reflétant dans la nature, sa joie intérieure le transformait. Les ailes qu'il désirait naguère, on aurait dit qu'il les possédait, et si grande fut sa diligence que, dès les premiers jours d'octobre, il arriva à l'hospice du Petit Saint Bernard.
Le lendemain, il remercia les moines et reprit son chemin vers la fortune. Bientôt il quittait les terres de la baronnie de Bourg-Saint-Maurice comme un pélerin pour entrer sur celles de Courmayeur comme un voleur. Son petit piolet à la main et son grand sac de jute, pour l'instant vide, bien arrimé sur le dos, il entama la descente du col, la tête pleine de pensées violettes.
L'améthyste... Ce petit cristal violet, couleur royale. L’améthyste, quartz violet transparent, à même de dissiper les pensées mauvaises et d’activer l’intellect. Parce que l’améthyste est aussi censée encourager au célibat et être un symbole de piété, elle jouait en sus un rôle important dans l’ornementation de l’Eglise. Elle était considérée comme la pierre des évêques, qui portaient souvent des bagues ornées d’une améthyste...
Si les dires du colporteur s'avéraient exact, il pourrait en remplir son sac et en revendre le contenu aux cupides prélats de l'Évêché, de quoi passer l'hiver confortablement et financer ses expériences. Mais voilà qu'il arrivait déjà au pied des hautes falaises sensées contenir son trésor, à quelques lieues du petit village d'Entrèves.
Le nain monta sa tente à l'abri d'un petit bois de sapins et affuta son piolet...