Installation du dispensaire

Algonde avait fait du bon travail, une fois de plus. Les femmes qu'elle avait affectées au nettoyage de la petite échoppe avaient fait des miracles. Les deux pièces du local étaient parfaitement propres, et Yzalba, la veille au soir, n'avait eu qu'à y pulvériser de l'eau additionnée d'huiles essentielles pour en assurer une désinfection rigoureuse avant de l'utiliser comme dispensaire.

Aussi était-ce l'esprit tranquille qu'elle arriva avec Iasvana devant la porte du nouveau dispensaire de Courmayeur. Descendant de cheval, elle s'approcha, menant sa jument par la bride, du chariot du jeune médecin :

Signora, voici votre domaine et le mien... mais honnêtement, ce sera surtout le vôtre, mes devoirs de régente ne me laissent malheureusement pas le loisir d'exercer mon métier actuellement. Je suis d'ailleurs vraiment heureuse de votre venue. La présence à Courmayeur d'un second médecin me soulage grandement l'esprit. Je considère votre arrivée comme une bénédiction en ces temps de misère...

Elle fit faire à Iasvana le tour des deux pièces en enfilade, l'une ouvrant sur la rue et l'autre possédant une fenêtre ouvrant au fond, à l'ouest, sur le jardinet de la maison qu'elle occupait avec Rollin et les enfants.

Ah ! une chose encore : la maison située juste à côté de celle-ci est actuellement vide. Elle n'est pas très grande, mais ses trois pièces sont propres et fonctionnelles et si vous souhaitez vous y installer pour être près du dispensaire, faites-le moi savoir, je vous ferai porter quelques meubles... Bien, je vous laisse vous installer. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, faites-le quérir par un des gardes de la maison de la Baronne, d'accord ?

Elle adressa un sourire chaleureux et reconnaissant à la jeune femme et attendit sa réponse avant de passer chez elle...

Le voyage fut en effet rapide. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, le dispensaire était en vue, accolé à une maisonnette de charme.

Descendant du chariot, elle attacha les boeufs à une barrière et suivit Ysalba à l'intérieur de la bastisse; Elle fut étonnée de la propreté qu'elle y trouva : rare étaient les établissements médicaux à pouvoir s'enorgueillir de cela.
Elle apprit, sans le relever, que la régente était aussi médecin. Iasvana en fut par avance enchantée : partager son savoir était un plaisir et sans doute au contact de cette femme apprendrait-elle quelques petites choses.

- Oh vous savez, je vais faire de mon mieux, mais je ne suis point là de façon perpétuelle... Je vais soigner un maximum et remettre sur pieds les pauvres affamés qui vivent par ici, et dès que la populace aura reprit le gout de vivre et de manger, je m'en irai avec l'espoir d'avoir été pour quelque chose dans le retour de la santé à Courmayeur !

La femme lui proposa ensuite de s'installer dans une demeure désafectée. Iasvana se garda bien d'accepter : elle doutait que la Baronne vit d'un bon oeil que la Signora s'installe ici de cette façon...

- Merci, c'est gentil. Mais j'aurais beaucoup à faire, et je vcrains ne pas avoir un seul instant pour mon compte. Aussi, si j'ai besoin de sommeil, c'est au milieu des malades que je fermerais les yeux. Et, je ne veux pas vous déranger, il y a bien d'autres choses à faire.

L'invitation ayant ainsi été esquivée, Iasvana remercia à plusieurs reprise la régente des lieux. Elle se demanda mesme comment réagirait Lisyane si elle apprenait que l'on mettait à son service les gardes...

- Ne vous en faistes pas, tout ira à merveille. Ah, et... vous devez sans doute connaistre mieux que moi les habitants d'icelieu. donc, n'hésitez pas à me les envoyer, je suis ici pour ça.

Iasvana resta longtemps au dispensaire. Les gens de toutes les terres de la Baronne Lisyane avait du entendre parler d'un aide gratuite car ls firent presque la queue pour voir la miresse.

Elle donna des tisanes de pousses de pins. Elle allaita des petits, qui profitèrent d'une femme à la poitrine généreuse et encore pleine de maternité. Des mères en pleurèrent de joie, elle qui avaient perdu leur lait dans la famine.
Elle soigna des diarrhées, des affaiblissements, à grand coup de soupe et de marmite de céréales bouillies.
Elle répara le bras fracturé d'un homme qui avait tellement attendu pour voir un rebouteux que son os s'en était ressoudé, mais à la mauvaise place.
Elle du avorter des femmes, dont les petits étaient mort en gésine. Elle avait du en accoucher une, qui malheureusement était morte en couche, trop faible. Son petiot n'avait vécu que deux jours. Le père était mort la semaine qui avait suivit, d'abattement.

Le paysage des visage n'était pas beau. Mais, au fil des semaines, la guérison commença à fleurir, au sein des cœur : elle était du à l'espoir.
Les familles avaient reçues de quoi subsister : bestiaux, céréales... On les avait aidé à faire le nécessaire dans leur champs, avant que l'automne ne s'installe.
Iasvana commença à avoir moins de travail. A présent, elle penait un panier emplies de remèdes, chaque matin, et faisait le tour des petites gens. Ils étaient heureux de son passages. Certains demandaient combien ils lui devait. Elle répondait que c'était leur Baronne qui payerait la médicastre. Ils étaient soulagés. Ils lui offraient un verre de génépi.

La Signora était exténuée. chaque soir, elle se couchait presque fiévreuse elle mesme, à l'issue de journée emplie de bons et loyaux services. Sa fille, Sélène, profitait du peu de lait qui lui restait et buvait avidement, avant que les deux ne s'endorment.
Le matin, au réveil, elle offrait encore une fois son sien à sa fille. Puis elle la confiait à une femme du village, pour partir en tournée.

Un jour, on n'eut plus besoin d'elle que pour commérer. Elle cru qu'il était temps de partir.

*À la tête de son ost dépenaillée et loqueteuse de traine-misères et de crève-la-faim, Sara, jeune veuve paysanne et mère angoissée, avait pris la direction que les deux représentants de la Régente lui avaient indiquée. La jeune femme n'était plus que l'ombre d'elle-même.*
*À l'instar du sillon noir de malheur et de mort qu'elle avait tracé tout au long de la vallée, la disette persistante avait ravagé son corps et son âme... Elle avait perdu son mari au début de septembre et elle s'apprêtait à prendre congé de son plus jeune enfant, la petite Flore, serrée désespérément comme une poupée de chiffon contre sa poitrine flétrie. Son fils, quant à lui, tenait bon… mais jusques-à quand?*

*La jeune femme avait cependant repris courage… Les mots de cet homme aux cheveux noirs, juché sur son cheval comme un seigneur des temps anciens, (ce paysan qui, devant l'urgence de la situation avait même osé tenir tête à un noble) lui avaient transpercé le cœur, jusqu'à l'âme. Ils avaient réveillé le souffle de la vie et le désir de luter. Ils avaient ranimé la flamme impétueuse de sa volonté, qui n'était pourtant plus que braise mourante quelques heures auparavant. Le visage fermé et dur, Sara cheminait à petits pas, menant ses compatriotes vers un espoir un peu fou de salvation et de rédemption.*

*Derrière elle, la procession des orphelins, des malades et des blessés, encadrée par les deux gardes austères juchés sur leurs coursiers, s'étirait sur près d'un arpent: silhouettes miséreuses, bancales et claudicantes, à demi-mortes de faim ou carrément prêtes à rendre leur dernier souffle. Un étrange espoir soulevait la poitrine desséchée de la jeune paysanne… et si, en fin de compte tout cela était possible? Et si, dans son immense bonté, le Très-Haut décidait d'épargner ceux qui avaient traversé tant d'épreuves?*

…

*Le dispensaire fut bientôt trop petit pour accueillir ceux qui réclamaient des soins urgents. Aussi, la Régente, soutenue et aidée par les gens de la Mesnie de Courmayeur, Algonde et Mathilde en tête, se résolut à réquisitionner et aménager plusieurs bâtiments laissés vides. Des semaines durant, Dame Iasvana, secondée par Yzalba, ne savait plus où donner de la tête tant le nombre des malades et des mourants était grand. Mais des convois de Bielle et des Bauges et de tous les bourgs et hameaux de la vallée, les bonnes âmes affluèrent pour leur prêter main forte et venir en aide à ceux qui se mourraient.*

…

*L'histoire dit que nombreux furent ceux qui durent la vie sauve à ce formidable élan. On raconte aussi que la petit Flore ne survécut pas… mais qu'en souvenir d'elle, sa mère intercéda pour les enfants esseulés auprès de la Régente. Yzalba, émue par le sort tragique de la jeune paysanne, fonda au nom de la Baronne Lysiane de Sainctes-Eaux, un hospice pour les enfants orphelins et y nomma Sara responsable.*

*Non, jamais à l'ombre du Grand Blanc, la fraternité n'avait trouvé si belle expression… Et longtemps encore, on entendrait dans la pénombre des veillées valdôtaines, un vieux ou une vieille qui, l'œil brillant de fierté et le cœur battant, rappellerait ce moment de Charité... d'Amour pur... d'Amitié...*

*+AGAPÈ+*